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Catégorie : Les Contes Magiques de Kouzou

Bombay

Janvier 1995

Sur une petite place de Bombay, l'homme était assis à même le sol un rosaire à la main.

Un peu d'encens se consumait  à côté de lui.

Presque nu, vêtu simplement d'un pagne, son corps était recouvert de cendre.

Il semblait juste habillé de son imposante barbe grise et d'une longue et interminable chevelure tressée voire emmêlée que l'on nomme ici  "jata" paraît-il.

De son visage peint de traces rouge, un regard à la fois d'acier et tendre pistait inlassablement celui des gens qui le regardait... 

Devant lui, pas grand-chose non plus, quelques petites boîtes ornées de pierre et un coffret de bois. Sur sa droite un grand pot métallique. Le dénuement le plus total en somme. 

Je venais de rencontrer un Sâdhu.

 

Les Sâdhus sont des ascètes errants hindous, considérés comme habités d'une parole divine.

Celui-ci échangeait quelques mots avec une touriste européenne à la fois intriguée et fascinée par un tel homme.

Le curieux que je suis, tendit l'oreille. Leur conversation tournait autour des traces rouges qui ornaient son front. Elle lui demandait si elles avaient une signification particulière pour lui, comme ces points rouges que portent souvent les femmes indiennes.

L'homme pria la dame de se rapprocher, lui demanda de tendre ses deux mains pour l'aider à se lever.

Une fois debout il demanda à la dame de garder ses bras tendus et ses deux mains fermées, et il enchaîna :

"Vous parlez du Bindi des mariées. Rien a voir ou presque.
On raconte qu'autrefois, du temps des Aryas (peuple de la vallée de l'Indus fondateur de l'hindouisme) le marié mettait de son sang sur le front de la mariée et que ce geste validait leur union. 
De là viendrait l'application d'un rond rouge sur le front pour les femmes. 
Si par malheur la femme devient veuve, elle cessera de porter ce rond rouge sur le front.
Bindi vient du mot sanskrit Bindu qui signifie goutte. 
C'est une zone bien particulière du front qui, si elle est marquée, représente le troisième oeil d'une personne et devient le point central de la base de la création elle-même.
C'est un symbole de prospérité et de chance et de festivité."

Le saint homme pris une des petites boîtes et l'ouvrit. Il renversa un peu de son contenu sur une feuille.

"Voilà le Kumkum à l'état pur", dit-il .
"Une poudre rouge extraite d'une racine nommée « Halkund , elle est utilisée à l'origine en tant que symbole de la religion hindoue, mais aussi pour apaiser les tensions mentales et protéger le chakra du front".

Disant ses mots, il saisit la deuxième boîte l'ouvrit,

"Ici le Kumkum est préparé comme une teinture prête à être utilisée. Elle tient environ une semaine".

Il introduisit son index droit dans la petite boîte verte prit un peu de son contenu rouge sur le bout de son doigt et l'approcha du front de la jeune femme.

"L'emplacement du Bindi est très significatif : la zone entre les sourcils est le siège de la sagesse primordiale (ou sagesse latente). C'est la zone du 6e chakra, l'Agna, signifiant "commande" en sanskrit. 
C'est le chakra qui contrôle et commande les différents niveaux de concentration atteints par la méditation. 
Le point central de cette zone est le Bindu , zone dans laquelle toute expérience devient matériau de méditation."

Tout en disant ces mots il appliqua du bout de son index une tache rouge entre les deux sourcils de l'Européenne.

"Vous êtes gauchère ou droitière? ...
Droitière... Très bien baissez votre bras droit et tout en conservant le poing fermé, montez le dos de votre main jusqu'au Bindi.

Dans la tradition, on dit que durant la méditation, le Kundalini, c'est à dire l'énergie primordiale (ou énergie latente)qui réside dans cette zone, est éveillée et se déploie jusqu'au sahasrara ou 7e chakra, situé à l'intérieur de l'esprit. 
Le Bindu est donc une zone chargée d'énergie. 
Mais cette énergie peut aussi s'échapper. 
C'est là qu'intervient l'utilisation de Kumkum, une poudre rouge qui, placée sur la zone du Bindu, empêche l'énergie de sortir du corps...

L'empêche de sortir du corps mais pas de s'y déplacer et ni même de traverser peau et os".

C'est étrange mais il y eu un grand silence soudainement, comme si tout le grouillement et le tumulte de cette place de Bombay s'étaient figés à ces mots.

"Sans la déplacer, pouvez-vous ouvrir votre main ?"

Un à un, la touriste écartait ses doigts, laissant apparaître dans sa paume une tache rouge.

"Maintenant, vous pouvez regarder votre main, sans être obligée de croire à ce que vous y verrez".

Notre Sâdhu dont je ne connaîtrai jamais le nom, se baissa pris son grand pot cuivré et demanda aux quelques personnes présentes quelques offrandes pour subsister et se rendre au prochain Khumb Mela le grand rassemblement des hommes sacrés en Inde.

Sans les coordonnées de la belle touriste européenne, j'ai quitté Bombay le lendemain avec une pincée de Kumkum et une photo du mystérieux Sâdhu.

Sadhu

Kozou (Jean-Marc Mourier) 28 Juin 2007

PS : Bombay, un barbu, chevelu, dont je ne connais même pas le nom. Comme c'est étrange, cela me rappelle quelque chose...

 


Cette histoire peut être le support pour un tour de magie, variante du Tour de la Cendre à Travers la Main.

Les membres du Magicos Circus Rouennais peuvent en savoir plus ICI